"Etranger": même plus le droit de savoir ses droits.
ci-dessous l'article (à pleurer à vrai dire) d'un journaliste de Libé sur un blog de Libé (je pense qu'il ne m'en voudra pas de l'avoir publier) concernant "l'accueil" des étrangers à Marseille qui ne demandent qu'à déposer un dossier pour savoir s'ils sont en droit ou non de recevoir un titre de séjour dans la patrie qui inventa, ne riez pas, les "droits de l'homme". On remarquera les progrès indéniables de notre "système démocratique" depuis quelques années: Avant, on maltraitait les étrangers après avoir pris connaissance de leur situation régulière ou pas au vu de notre droit. Maintenant on les maltraite avant qu'ils arrivent à la faire connaître. C'est ce qu'on appelle sans doute "l'efficacité" et "la culture du résultat" du côté de monsieur Hortefeux et consort. On a beau dire ce qu'on veut, ce genre d'ambiance psychologique très malsaine est un pas décisif vers un racisme officiel qui n'a simplement pas le courage de dire ouvertement l'arme qu'il utilise et l'effet qu'il escompte chez tout "étranger" (un mot déjà fortement orienté): la peur.
ADMINISTRATION (papier publié ce lundi dans Libération) - La nuit tombe sur Marseille, les portes du bâtiment sont fermées. Une pancarte indique «Service de l’immigration et de l’intégration». En dessous, ce jeudi, une trentaine d’hommes assis sur les marches d’un escalier. Ils sont étrangers, ont besoin de déposer un dossier de demande de titre de séjour. Mais la préfecture des Bouches-du-Rhône refuse d’en prendre plus de 10 le matin. Alors, pour être les premiers, ils vont dormir sur place. L’un d’eux est là depuis trois jours, un autre quatre, un troisième cinq. Vannina Vincensini, avocate spécialisée dans le droit des étrangers, raconte qu’un de ses clients a dormi là à partir du dimanche soir pour déposer son dossier le jeudi...
Malek, Tunisien de 25 ans, a déjà passé deux nuits ici. Il est encore de bonne humeur. Il fait assez chaud ce soir. Il explique qu’il faut se faire remplacer quelques minutes si on veut aller boire un café, se rafraîchir dans les toilettes d’un bar. Il vient d’Arles déposer son dossier. Selon Anaïs Léonard, autre avocate spécialisée dans le droit des étrangers, la situation est surtout compliquée pour les plus faibles. Ceux qui ne peuvent jouer des épaules au matin. Celles qui ont peur de passer une nuit avec ces hommes qu’elles ne connaissent pas. Le client d’une de ses collègues ne veut plus venir : transsexuel, il s’est fait casser la gueule deux fois. La troupe essaie de s’organiser. Il y a quelques jours, elle avait mis en place une liste pour aller et venir dans la journée sans perdre sa place. Cela n’a pas fonctionné. Au matin, des nouveaux passaient devant, cela se terminait en bagarres. Alors tout à l’heure, ils se presseront bien avant l’ouverture contre la porte. Pour l’instant, ils dorment en pointillé.
A 4 heures, la foule a grossi. Des demandeurs pensaient qu’il suffisait d’arriver dans la nuit. Ils regardent, découragés. Presque tout le monde est réveillé, les yeux partent dans le vague. Il fait froid. Les hommes se serrent les uns contre les autres. Il y a de la fatigue, de l’exaspération. Quelqu’un ronfle très fort. Un homme finit par quitter les escaliers pour le secouer doucement. Lorsqu’il revient, il a du mal à reprendre sa place. La tension monte. Quelqu’un dort debout, le coude appuyé à un mur. Vers 7 heures, la foule est compacte. Les 30 premiers, qui étaient là hier soir, sont comprimés contre la grille. Il faut tenir avant de pouvoir courir vers les guichets. Vers 8 heures, des policiers arrivent. Des renforts, que l’on envoie chaque matin réguler l’ouverture. L’un d’entre eux, agressif, donne un coup de pied dans un sac. «C’est à qui ça ? Ça part à la poubelle.» Il crie après les hommes qui s’agglutinent en haut des marches. «Tout le monde descend des escaliers, sinon on n’ouvre pas. Vous m’entendez ? On descend !» Un vieil Algérien regarde, appuyé sur une canne : «On est des chiens, alors ?» Un policier plus âgé, plus calme, essaie de convaincre les hommes de reculer : «Faites-le tous ensemble, personne ne perdra sa place.» Il glisse au journaliste : «Faites un article, racontez, ce n’est pas possible !» Ses collègues semblent exaspérés d’avoir à faire le sale boulot.
«Effectifs». A 8 h 20, les portes s’ouvrent enfin, les hommes se ruent. Mais, en quelques minutes, les 10 tickets se sont arrachés. Malek s’est fait passer devant. Comme quelqu’un qui grimperait chaque matin au mas de cocagne, et dévisserait toujours au dernier moment. La fatigue de la nuit lui retombe dessus. Il reste au milieu de la salle, perdu.
Près de lui, une femme observe ces hommes désemparés. L’adjointe du chef de service. Malek s’adresse à elle. «Il faut trouver une solution, madame. Je ne veux plus coucher dehors.» Elle répond gentiment, semble navrée. «Quand vous êtes parmi les premiers, dit-elle, jouez des coudes, ne vous laissez pas passer devant. Moi, je fais le maximum avec les effectifs que j’ai.» Il essaie d’insister, de lui laisser son dossier. Elle regarde, mais refuse de le prendre. Malek est entré illégalement voilà cinq ans. «Cinq ans, ce n’est pas beaucoup, murmure-t-elle. Il faut au moins dix ans. Ce que je vous conseille, c’est de rentrer dans votre pays et de faire les formalités auprès du consulat pour revenir légalement.» Il réplique : «Ce que je veux, c’est déposer mon dossier. Si après vous me donnez un titre, tant mieux. Si vous refusez, tant pis pour moi. Mais j’ai le droit de le déposer, c’est la loi.» Elle soupire: «Je vous comprends, mais c’est comme ça. Vous êtes trop nombreux.» Et finit par rejoindre son bureau. Malek ressort, s’arrête sur le trottoir jonché de cartons. Il devait revenir faire la queue cette nuit.
Olivier BERTRAND
(article récupéré lundi 1 avril 2011)