Les médias français, destructeurs de la démocratie?
Précisons d’entrée de jeu ce que nous entendons par « médias français ». Nous entendons par là les médias les plus influents et les plus populaires (notamment les émissions de télé style « le grand journal » de canal plus, « c’est dans l’air », « c’est à vous », etc...). Bien sûr nous savons qu’il existe des médias « alternatifs » (style « acrimed », « arrêts sur images » ou d’autres médias encore plus confidentiels. Notons que ces médias alternatifs qui combattent activement dans leurs façons de faire ces médias « populaires » malheureusement dominants –au moins par leur audience- sont souvent soi payants, soit sur internet, soit s’adressent implicitement à des auditeurs « militants » qui sont souvent déjà en capacité de produire par eux même un travail de critique des médias dominants. Ce qui fait qu’on peut se demander s’ils « n’arment » pas des citoyens déjà armés. Bien sûr nous exagérons le trait, mais il nous semble qu’on ne peut nier qu’il se produit malheureusement une sorte de division entre une minorité de citoyens armés, voire surarmés, et une majorité d’auditeurs qui bien que, pas forcément dupes du rôle que jouent les journalistes dominants surpayés du « PAF » -à preuve cette réplique d’un copain ouvrier à qui j’essayais de faire comprendre qu’il était sous influence à travers certains de ses raisonnement « économiques » sur la mondialisation : « tu sais, je sais que les journalistes sont là pour nous baiser ». A preuve aussi le vote de 2005 malgré des tonnes de propagande- incorporent la propagande dominante, même si cette socialisation se passe dans la douleur, et que les affects contradictoires de la révolte devant l’injustice travaillent aussi en silence ces auditeurs qui semblent « passifs » devant la « pédagogie » de monsieur Langlet et consort). Mais d’une part leur influence est réduite, et d’autre part ils n’ont souvent ni les moyens ni le temps (une des façons les plus efficaces de rendre inaudible quelqu’un est de le rendre prisonnier d’urgences qui le débordent de toute part, spécialement les gens qui essaient de faire de la raison le critère principal des choses. Une espèce de stratégie de l’assommoir en quelque sorte. Une stratégie très pratiquée dans une émission comme « c’est dans l’air » par exemple lorsqu’un économiste alternatif s’y risque : quand il a la parole, il doit démonter en deux ou trois minutes une tonne d’arguments idiots qui ont été déversés par des adversaires présents sur le plateau à raison de trois contre un. Il est piégé) de répondre systématiquement à chaque aberration se produisant sur un plateau télé.
Nous voudrions prendre pour objet de réflexion ici un échange qui a eu lieu entre Anne Elisabeth Lemoine et Aymeric Caron dans l’émission « c’est à vous » du vendredi 10 septembre 2014, tant il nous semble très révélateur de l’état lamentable du champ journalistique français aujourd’hui et du genre de « mœurs » qu’on peut y pratiquer en toute impunité. En résumé, Aymeric Caron y est lourdement soupçonné par son interlocutrice de chercher systématiquement dans ses interviews (dans l’émission « on n’est pas couché » notamment, par exemple en face de Bernard Kouchner) le « clash » et l’esclandre par pur plaisir malsain et narcissique (quand quelqu’un veut contourner le fond d’un problème, il rabat souvent la question de son interlocuteur sur son narcissisme, une stratégie courante chez les gens qui veulent passer à l’as le problème évoqué).
Ce qui est fou dans cet échange et difficilement dicible à vrai dire (comme chaque fois que ce qui devrait être banal et normal est dénoncé comme la monstruosité insupportable), c’est que notre « journaliste » se fait (à peine) implicitement et à contrario l’avocate d’un journalisme servile et couché devant les puissants en toute naïveté (comment peut-elle ne pas s’en apercevoir ?). Aymeric Caron qui est un journaliste au bas mot peu critique (ce n’est pas Serges Halimi !) et faisant le « minimum syndical » (euphémisme) en face d’un homme politique ( en vérifiant par exemple la cohérence de ses principes et de ses actes) y est quasiment traité comme un délinquant du PAF, une personne déplacée, voir un « sérial clasher » (toujours la même stratégie consistant à typer psychologiquement le personnage dérangeant comme fou, à la manière dont dans les régimes staliniens marginalisaient leurs contestataires). On « comprend » qu’ayant pris l’habitude de ne rencontrer que des journalistes aussi peu dérangeants qu’ Anne Elisabeth Lemoine en face de lui, Bernard Kouchner dans son arrogance elle aussi autodestructrice (s’en aperçoit-il ?) confie le plus naïvement du monde qu’il avait envie de « casser la gueule » de celui qu’il a pourtant empêché en toute impunité de parler sereinement (Laurent Ruquier ne l’a pas fait taire pour laisser Aymeric Caron développer ses arguments serainement et il y a fort à parier que la plupart des auditeurs n’auront pas compris ce qui posait problème dans l’action de Kouchner en Afrique, etc…). Il trahit lui aussi combien il trouve naturel qu’hormis quelques médias alternatifs ghettoisés malgré eux, il attend de la presse dominante qu’elle fasse son jeu en toute servilité.
Il est pourtant clair que de tels mœurs détruisent la crédibilité des grands médias français ( vu d’ailleurs, la soumission des journalistes français fait rire) et aussi la démocratie, et les journalistes dominants ne sont payés si chers que pour arriver à ce résultat de façade : faire croire qu’ils défendent la démocratie tout en la détruisant dans les faits (il faudrait aussi évoquer tout le travail de dépolitisation fabriqué par des émissions qui se présentent pourtant comme ayant un versant « politique » important, comme par exemple « le supplément » de Maïtena Biraben. Il est des gens qui croient s’y instruire politiquement).
On signale l’arrivée d’une émission de « pédagogie » de monsieur Langlet sur Antenne 2 sur les questions économiques. Et pourquoi pas ne pas donner le même temps d’Antenne et les mêmes moyens à Frédéric Lordon puisque nous sommes sur un service public qui se doit de donner la parole à tout le monde dans les mêmes conditions, et spécialement peut- être si leur parole est inconnue du grand public? Ce serait pourtant l’acte élémentaire d’une vraie démocratie non ? Mais sommes nous en démocratie ? J’en doute...