C'est un journal israëlien qui ose le dire
L'article suivant n'est pas une caricature produite par un "anti-israëlien primaire", mais la description (susceptible d'être vérifiée) faite par un journal israëlien de l'état de la bande de Gaza sous le "contrôle" d'Israël. Il faudra nous expliquer un jour, preuves à l'appui (et non pas par de simples dénégations rhétoriques ou faussement morales) ce qui différencie concrètement un tel territoire de ce que furent les "camps d'appartheids" érigés jadis par l'état officiellement raciste d'Afrique du sud (et d'ailleurs longtemps soutenu par Israël si mes souvenirs sont bons: rire jaune). Qui peut affirmer, les yeux dans les yeux, qu'en voyant son peuple et ses proches maintenus dans cette "anti-condition humaine", il n'aurait pas au moins l'envie, sous l'effet du désespoir, de passer à des réponses violentes? En tout cas pas les pro-guerre israëliens actuels qui, comme le fait remarquer Dominique Vidal dans le monde diplomatique de ce mois se permettent eux-même (baffouant ainsi le propre esprit de leur tradition de justice) de prendre "dix yeux pour un seul oeil". Bref, ils sont eux même le contre exemple vivant du comportement idiot et impossible à adopter qu'ils demandent pourtant aux palestiniens, donnant ainsi la plus éclatante preuve du "un poids deux mesures" qu'ils voudraient imposer au monde les concernant.
Les ténèbres de Gaza
Par Gideon Levy
Haaretz (journal israélien), 3 septembre 2006
article original : "Gaza's darkness"
Gaza a été réoccupée. Le monde doit le savoir et les Israéliens aussi doivent le savoir. Gaza se trouve dans la pire des situations de son histoire. Depuis la capture de Gilad Shalit et plus encore depuis le déclenchement de la guerre au Liban, les Forces de Défense d'Israël [FDI] saccagent tout dans Gaza - il n'y a aucun autre mot pour le décrire - tuent, démolissent, bombardent et pilonnent, sans discrimination.
Personne ne pense à mettre en place une commission d'enquête, la question n'est même pas à l'ordre du jour. Personne ne demande pourquoi cela a lieu et qui l'a ordonné. Mais, sous le couvert des ténèbres la guerre au Liban, les FDI sont retournées à leurs vieilles pratiques à Gaza comme s'il n'y avait jamais eu aucun désengagement. Par conséquent, cela doit être dit sans détours : le désengagement est mort. À part les implantations qui sont toujours un tas de gravats, il ne reste rien du désengagement et de ses promesses. Combien tout ce blabla sublime et absurde au sujet de "la fin de l'occupation" et "de la partition de la terre" apparaît à présent méprisable ! Gaza est occupée et avec une plus grande brutalité qu'avant. Le fait que ce soit plus pratique pour l'occupant de la contrôler de l'extérieur n'a rien à voir avec les conditions de vie intolérables de l'occupé.
Ces derniers temps, dans de grandes parties de Gaza, il n'y plus aucune électricité. Israël a bombardé la seule station d'électricité de Gaza et plus de la moitié de la fourniture d'électricité sera coupée pendant encore au moins un an. Il n'y a pratiquement pas d'eau. Puisqu'il n'y a plus d'électricité, approvisionner les habitations en eau est pratiquement impossible. Gaza est plus sale et plus nauséabonde que jamais : À cause de l'embargo qu'Israël et le monde ont imposé sur l'autorité élue, aucuns salaires n'ont été payés et les nettoyeurs de rue ont été en grève pendant les dernières semaines. Des piles de détritus et des nuages de puanteur étranglent la bande côtière, la faisant ressembler à Calcutta.
Plus que jamais, Gaza est aussi comme une prison. Le passage d'Erez est vide, le passage de Karni n'a été ouvert que quelques jours ces derniers mois et la même chose est vraie pour le passage de Rafah. Quelques 15.000 personnes ont attendu pendant deux mois pour entrer en Egypte, certains attendent toujours, y compris un grand nombre de personnes malades et blessées. 5.000 autres personnes attendaient de l'autre côté pour retourner dans leurs foyers. Certains sont morts pendant l'attente. Il faut voir les scènes à Rafah pour comprendre à quel point cette tragédie humaine qui se déroule est profonde. Un passage qui n'était pas censé avoir une présence israélienne continue d'être un moyen pour Israël de faire pression sur 1,5 millions d'habitants. C'est une punition collective scandaleuse et choquante. Les Etats-Unis et l'Europe, qui font la police au passage de Rafah, sont aussi responsables de cette situation. Gaza est aussi plus pauvre et plus affamée qu'elle ne l'a jamais été. Il n'y a pratiquement aucune marchandise qui entre ou qui sort. Pêcher est interdit. Les dizaines de milliers de fonctionnaires de l'AP ne reçoivent plus aucun salaire et la possibilité de travailler en Israël est hors de question.
Et nous n'avons pas encore parlé de la mort, de la destruction et de l'horreur. Ces deux derniers mois, Israël a tué 224 Palestiniens, dont 62 enfants et 25 femmes. Israël a bombardé et assassiné, détruit et pilonné, et personne ne l'a arrêté. Aucune cellule de lanceurs de Qassam et aucun tunnel de contrebande ne peut justifier une tuerie à si grande échelle. Il n'y a pas un seul jour sans morts, la plupart des civils palestiniens innocents.
Où sont passés les jours où il y avait encore un débat en Israël sur les assassinats ? Aujourd'hui, Israël largue d'innombrables missiles, obus et bombes sur les maisons et tue des familles entières, en route vers un autre assassinat. Les hôpitaux croulent sous les plus de 900 personnes qui doivent subir des interventions. À l'hôpital de Shifa, le seul équipement de Gaza que l'on peut encore appeler un hôpital, j'ai vu des scènes déchirantes, la semaine dernière. Des enfants démembrés, sous respirateur, paralysés, infirmes pour le reste de leurs vies.
Des familles ont été tuées dans leur sommeil ou pendant qu'elles se déplaçaient à dos d'ânes ou qu'elles travaillaient dans les champs. Des enfants effrayés, traumatisés par ce qu'ils ont vu, recroquevillés chez eux avec une horreur dans leurs yeux qu'il est difficile de décrire avec des mots. Un journaliste espagnol qui a passé récemment du temps à Gaza, un vieux routier des zones de guerre et de désastres dans le monde entier, a dit qu'il n'avait jamais été exposé à des scènes aussi horribles que celles qu'il a vues et qu'il a décrites pendant ces deux derniers mois.
Il est difficile de déterminer qui a décidé tout cela. On peut douter que les ministres aient conscience de la réalité à Gaza. Ils en sont responsables, à commencer avec la mauvaise décision sur l'embargo, jusqu'aux bombardements des ponts de Gaza et de la centrale électrique et les assassinats de masse. Aujourd'hui, Israël est responsable une nouvelle fois de tout ce qui arrive à Gaza.
Les événements de Gaza exposent la grande fraude de Kadima : Il est arrivé au pouvoir en profitant du succès visible du désengagement, qui est maintenant de l'histoire ancienne. Et il a promis la convergence, une promesse que le Premier ministre a déjà annulée. Ceux qui pensent que Kadima est un parti centriste devraient désormais savoir qu'il n'est rien d'autre qu'un parti d'occupation de droite. La même chose est vraie pour le parti travailliste. Le ministre de la défense, Amir Peretz n'est pas moins responsable de ce qui se passe à Gaza que le Premier ministre et ses mains sont aussi pleines de sang que celles d'Olmert. Il ne peut plus jamais se présenter comme un "homme de paix". Les invasions terrestres toutes les semaines, à chaque fois à des endroits différents, les opérations d'assassinat et de destruction par voie maritime, aérienne et terrestre sont toutes affublées de noms qui tentent d'effacer la réalité, comme "Pluies d'Eté" ou "Jardin d'enfants verrouillé". Aucun prétexte au nom de la sécurité ne peut expliquer ce cycle de folie et aucun argument civique ne peut excuser le silence scandaleux de nous tous. Gilad Shalit ne sera pas libéré et les Qassams ne s'arrêteront pas. Au contraire, il y a une horreur qui se déroule à Gaza et, pendant que cela pourrait empêcher quelques attaques terroristes à court terme, cela va sûrement donner naissance à beaucoup plus de terrorisme meurtrier. Israël dira alors avec son autosatisfaction coutumière : "Mais nous leur avons rendu Gaza".
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques] et paru sur coordéducmars