QUAND ON NE PEUT MEME PLUS FAIRE CONFIANCE AUX MOTS
Karl Kraus, parlant de la presse de son époque, disait déjà à peu prêt (je cite de mémoire avec les risques de déformation afférents) « s’il y a de grandes chances pour que la presse sérieuse ne change en rien les mœurs de la mauvaise presse, il y a par contre une forte probabilité pour que les mœurs de la mauvaise presse influent grandement et négativement sur ceux de la presse dite sérieuse ». Cette remarque peut être facilement transposée à notre époque. Non seulement en ce qui concerne évidemment nos « médias » actuels (ça crêve les yeux : il suffit de voir par exemple comment Arte, chaîne « culturelle », ou Le Monde, journal dit « sérieux », se sentent obligés aujourd’hui de couvrir les évènements « people » autrefois réservés à la presse de caniveau. Même si bien sûr, comme il sied à des gens qui se pensent « cultivés », ils vont les ripoliner en « événement de société particulièrement révélateurs » pour mieux camoufler -sous des alibis pseudo culturels- une simple recherche commerciale de l’audimat le plus large sollicitant le voyeurisme le plus primaire du spectateur ou du lecteur), mais aussi en ce qui concerne de nombreux autres domaines de notre vie sociale (tous les domaines ? c’est à se le demander, tant la malhonnêteté semble être la vraie loi de notre société. « proclame les valeurs que tu vas détruire » pourrait bien être la maxime la plus économique pour expliquer la majorité des comportements des humains aujourd’hui dans ce pays et sur cette planète. De Georges Bush faisant la guerre au nom de la justice à Al Gore voyageant en avion ou dans des palaces climatisés pour mieux proclamer qu’il faut changer de mode de vie…). Ainsi, prenons par exemple le domaine qui nous est si cher de « la bouffe ».
Vous pensez que l’étiquette « Bio » est fiable et qu’elle vous garantie ce qu’elle affiche ? Par exemple, en ce qui concerne la viande de cochon, des cochons élevés dans le respect et l’épanouissement de l’animal ? Des cochons vivant en liberté dans la nature, mangeant à leur rythme des aliments eux mêmes naturels, ayant eu une vie relativement normale d’animal épanoui se reproduisant à la ferme ? Détrompez vous ! Un reportage diffusé sur Arte le mardi 29 aout 2007 nous présente la vie de cochons (qui seront pourtant estampillés « bio » une fois abattus !) à « la ferme ». C’est pas triste. Tout petit déjà, les mâles sont d’entrée de jeu castrés, puis très vite séparés de leur mère (si on considère qu’un animal, surtout petit, a droit au bonheur, il est difficile d’imaginer, mis à part la violence physique directe sur son corps, violence plus grande. A déconseiller aux âmes sensibles…) . Si ils connaissent un peu la vie au grand air, ils seront vites parqués dans une espèce d’étable ou certes, contrairement aux élevages industriels ( ?) ils disposent de quelques mètres pour se déplacer, mais pas au delà d’un rayon de 50 à 80 cm par animal à vue d’œil (ce qui explique que lorsqu’ils s’excitent, ils préfèrent tourner en rond et en groupe dans l’étable)! Là, ils n’auront rien d’autre à faire qu’à engraisser le plus rapidement possible (rentabilité oblige) en ingurgitant une nourriture qui n’aura rien de naturelle, car elle aura été spécialement enrichie pour qu’ils deviennent des « montagnes de viande » en un temps record (selon la propre expression de la journaliste). Après avoir atteint le plus vite possible cette taille « rentable » (huit mois à ce rythme si mes souvenirs sont bons), ils seront abattus pour finir dans nos assiettes. Pendant ce temps, la mère fait elle aussi l’expérience d’une vie « bio ». Inséminée artificiellement après avoir été excitée par la présence d’un mâle particulièrement attirant (mais intouchable) pour être plus réceptive à l’opération, elle fournira une autre fournée. Et le cycle recommencera…Une petite ballade dehors (parce qu’il y avait la télévision ?), la castration, la séparation,l’engraissement « bio » ultra rapide en étable « spacieuse » (peut être agrémentée d’une sortie journalière comme pour nos prisonniers si la fermière a le temps, si elle n’est pas trop fatiguée)….
Avouez, si vous êtes aussi naïf que moi (bien trop, j’en ai fait maintes fois l’expérience cuisante. Les naïfs comme moi sont la chair à canon sur lesquels les enfoirés exercent leur jeu de violence tant que nous ne prenons pas la décision de les arrêter, ici comme ailleurs), que vous n’imaginiez pas la viande « bio » fabriquée comme celà. Le choc est rude ! Mais si on ose appeler ça « bio » qu’est-ce que ça doit être que le non bio ! Une usine à gaz pour cochons…..
Mais revenons à notre problème de départ. Comment peut-on permettre que cela soit dénommé officiellement bio ? et bien parce que par comparaison avec les conditions d’élevage les plus sauvages et les plus industrielles (qui sont aussi les moins chers pour le consommateur, il ne faut pas l’oublier), celles là sont relativement moins violentes . Comme la presse « sérieuse » arrive à se faire croire qu’elle est sérieuse parce qu’elle marque de légères différences avec la presse people, la bouffe bio arrive à se faire croire aujourd’hui qu’elle est bio parce qu’elle marque de légères différences avec la bouffe industrielle. Mais c’est oublier que la bouffe industrielle et la presse people sont en position de force et mènent la danse. Ce sont elles qui déterminent dans quel sens les choses doivent évoluer. Et bien sûr, comme leur penchant « naturel » en régime de marché « libre » (c’est à dire de capitalisme non réglementé) est d’aller vers ce qui rapporte le plus vite et en plus grande quantité de l’argent, on voit vite quelle tendance elles impriment aux choses….Généralement, la pire. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, dans nombre de domaines, on ne peut même plus faire confiance aux mots, qu’ils ne garantissent plus rien et ne veulent plus rien dire.
Ainsi, s’il est un symptôme parmi les plus révélateurs de l’évolution de notre société vers un incivisme généralisé (qui pourrait bien s’avérer mortel) et pourtant de plus en plus accepté comme « tolérable », il est bien à trouver dans le manque de confiance qu’on peut faire aujourd’hui aux mots et aux glissements sémantiques dont ils font l’objet de la part d’utilisateurs hautement intéressés à en pervertir le sens. Quelle confiance le citoyen de base peut-il faire aujourd’hui à la presse « sérieuse », à la nourriture « bio », au commerce « équitable » , au développement « durable » , à la « gauche » et aux « socialistes » ? Aucun. Et pourquoi ? parce que nous avons laissé s’installer l’habitude malsaine de dénommer ces choses non pas en valeur absolue, mais en valeur relative, et même très relative. Que la presse people devienne plus « trash », et Le Monde s’autorisera à couvrir « l’affaire Diana » en ayant l’impression de toujours appartenir à la presse « sérieuse ». Que l’on prenne l’habitude de « nourrir » des animaux par millier sur cent mètre carré, et un cochon disposant de 80 cm d’espace dans son étable sera appellé bio, qu’un moteur « classique » crache tel quantité de CO2 dans l’atmosphère, et un moteur sera dit « propre » s’il crache 10% de CO2 en moins dans l’atmosphère (à une heure ou il faut pourtant en rejeter quatre fois moins, et que donc il faut nécessairement freiner le « développement » pour mieux redistribuer) , que la droite sous l’influence des théories libérales libéralise à tout va et baisse drastiquement les impôts, et les « socialistes » se sentiront encore de gauche parce qu’ils les baissent moins (ce qui oblige la droite, pour se dinstiguer, à aller encore plus loin dans la surenchère), etc….
Le premier geste impératif d’un humain honnête est donc d’exiger de parler en « valeur absolue ». Pas de droit à s’appeler socialiste sans refus de la pseudo loi du marché, pas de presse sérieuse sans focalisation exclusive sur des informations qui concernent tout le monde et sont vraiment utiles à connaître pour améliorer l’état de l’humanité, pas de nourriture bio sans une vie naturelle et sans artifices pour les animaux qui la fournissent, etc…Ce n’est pas de « fermeture » et « d’esprit intransigeant » que cette société souffre, mais bien au contraire d’un excès « d’ouverture et d’élasticité des principes moraux ». A défaut de ne pas arriver à influer sur le cours des choses (du moins pour le moment), au moins apprenons à avoir une résistance tenace par le langage pour continuer à appeler un chat un chat. Dé-nommons les choses et contestons les fausses dénominations des choses.Les vessies ne sont pas des lanternes et les socialistes ne sont plus de gauche.